AFRIQUE NOIRE - Langues

AFRIQUE NOIRE - Langues
AFRIQUE NOIRE - Langues

Il ne semble pas exagéré de dire qu’il existe un «tiers monde» dans le champ d’étude des langues ethniques et que les langues de l’Afrique noire en font partie. On en a progressivement rendu compte depuis le XVIIe siècle; mais, jusqu’à une date assez récente, cette documentation descriptive a souvent manqué de rigueur scientifique. À cela il y a deux raisons. Tout d’abord, une raison historique: l’ouverture de l’Europe sur l’Afrique est une histoire complexe où se mêlent des motivations mercantiles, un apostolat missionnaire et une «vision de l’étranger» qui ne pouvaient que lier à un opportunisme pratique, tempéré de curiosité, tout intérêt porté aux langues et aux civilisations. Il s’agissait seulement de permettre une traduction, dans les meilleurs cas, de la doctrine chrétienne, dans les pires, d’inventaire de marchandises. Une seconde raison relève de la science linguistique elle-même: celle-ci s’est affirmée au XIXe siècle comme essentiellement comparative et historique, et sa réflexion a totalement négligé les fondements théoriques de la description. C’est pourquoi, dès le XIXe siècle, les langues de l’Afrique noire furent l’objet de grandes synthèses; toutefois, on oubliait qu’on ne compare que ce qu’on connaît bien, et le travail de documentation s’intensifiait suivant des principes qui n’avaient été mis ni en doute ni même en question.

Certes, nous n’en sommes plus là: peut-être toutes les écoles linguistiques modernes se sont-elles essayées en Afrique. Les descriptions sont aujourd’hui aussi nombreuses que variées dans leurs références théoriques, sans compter que les descriptions empiriques se poursuivent. De plus, la linguistique comparative est parvenue à certains résultats d’ensemble, bien qu’elle se heurte à une limite que lui impose l’état actuel de nos connaissances.

Il semble donc que deux démarches générales doivent nécessairement orienter les études: la description des états de langues et la recherche d’un classement interne des groupes de langues apparentées. Ces deux objectifs, outre leur intérêt sur le plan de la recherche fondamentale, permettront de donner un fondement solide aux travaux de linguistique appliquée: traduction et terminologie, élaboration de matériaux pédagogiques en vue de la scolarisation en langues africaines et de l’alphabétisation.

1. Historique et résultats

Les plus anciens documents

L’historique de la linguistique négro-africaine permet de mieux apprécier l’acquis dont nous disposons aujourd’hui.

Une première question se pose: quels sont les documents les plus anciens? Le nubien est la langue africaine dont on possède les textes les plus anciens (fragments de la Bible) écrits en caractères coptes. Ils se situent entre le VIIIe et le XIe siècle. Ils appartiennent à l’histoire de ces royaumes nubiens sis au sud de l’Égypte, héritiers du royaume de Kush. Leur étude, qui reste à faire, pourrait être fondamentale du point de vue des affinités de la civilisation noire avec l’Égypte.

Le plus ancien document dont on est à même de faire une traduction se trouve être un poème swahili: ce document, écrit en caractères arabes, date de 1714. Il est composé de mille strophes. Son existence prouve qu’une tradition littéraire était alors bien vivante en pays swahili (J. Knappert). On sait par ailleurs qu’une vieille chronique datée de 1500 a été perdue; elle est attestée dans un rapport portugais. Parmi les anciens documents dont les auteurs ne sont pas africains, L. Homburger cite la traduction en kikongo d’un traité de la doctrine chrétienne parue à Lisbonne en 1624. Un capucin, le P. Hyacinthe Brusciotto de Vetralla, publie à Rome, en 1650, un vocabulaire kikongo-portugais-latin-italien, ainsi que «la déclinaison des noms, ou, pour mieux dire, leurs principes et leurs règles». On a retrouvé, selon Homburger, des manuscrits sans nom d’auteur à Besançon, à Londres, à Rome. La première collecte lexicale faite par un voyageur sur la langue peule date de 1660. Le hottentot est décrit au début du XVIIIe siècle.

Il est possible que des recherches systématiques dans les archives des congrégations religieuses et des ports nous livrent d’autres documents. Pour le moment, on peut tirer deux conclusions. Dès le XVIIe siècle, le monde européen eut connaissance de quelques langues africaines. Par contre, la paucité des documents strictement africains est certaine et irrémédiable. La civilisation de l’Afrique noire, si on la caractérise d’après les techniques de la communication, est une civilisation de l’oralité et offre peu de jalons chronologiques. Le linguiste est, face aux langues noires, comme l’archéologue face à une station sans stratigraphie où les vents auraient nivelé tous les étages.

«Polyglotta Africana»

C’est dans la seconde moitié du XIXe siècle et tout au début du XXe que la documentation s’est intensément accrue. L’étude du duala du Cameroun n’a jamais été reprise depuis la petite grammaire de C. Meinhof en 1912. G. Manessy et S. Sauvageot donnent une liste de cinquante-cinq travaux sur le wolof entre 1732 et 1898. Les récents travaux de G. Innes sur le grebo (Liberia) font suite à six publications qui vont de 1838 à 1877. On pourrait multiplier les exemples. Il faut citer ici, pour l’Ouest africain, les deux centres qui ont suscité de nombreux travaux, Saint-Joseph-de-Ngazobil au Sénégal, et surtout Fourah Bay Institute en Sierra Leone, auquel est attaché le nom de S. W. Koelle. L’historien anglais P. E. H. Hair en a remarquablement fait l’histoire dans une introduction à la réédition de l’œuvre de Koelle, Polyglotta Africana . Freetown, capitale de la Sierra Leone, était alors le lieu de rassemblement de milliers d’esclaves délivrés de la traite désormais interdite. Ils fournirent à Koelle la matière de la recension: trois cents termes sélectionnés, communs à deux cents vocabulaires, recouvrant à peu près cent vingt langues. La notation est minutieuse, selon les procédés diacritiques de Lepsius.

Les bases théoriques

Pour juger de la documentation rassemblée jusqu’à la période de l’avant-guerre, que ce soit celle des missionnaires, celle des explorateurs comme le grand H. Barth (1821-1865), celle des savants comme M. Delafosse, D. Westermann, il faut la situer par rapport à la science linguistique. Un certain aspect de la linguistique, et longtemps le plus brillant et le plus décisif, est né au XIXe siècle... «avec la prise de conscience des réalités linguistiques, le classement et la mise en ordre d’une masse innombrable de faits, la formation d’une méthode scientifique solide» (M. Leroy). Ainsi la linguistique, s’affirmant dès son départ comme science, se veut historique et comparative et s’inscrit dans le mouvement général de l’anthropologie naissante, qui retient la diversité et la relativité culturelles comme matières d’observation et de réflexion. Il y a une méthode et des synthèses; il y a aussi des présupposés philosophiques qui apparaissent explicitement depuis F. Bopp jusqu’à Schleicher: reconstitution d’états primitifs des langues, progrès des langues. Nous les retrouverons chez quelques grands africanistes.

La linguistique fut néanmoins marquée par un trait essentiellement négatif: l’absence de toute théorie de la description linguistique. La conséquence pour le domaine négro-africain fut double: d’une part, l’intense travail de description lexicale et grammaticale s’effectua sans bases théoriques; d’autre part, les auteurs, dans la mesure où ils proposaient quelques synthèses, ne résistèrent pas à la séduction des magnifiques résultats de la linguistique indo-européenne. A. Meillet, en proposant sa méthode comparative, avait pourtant écrit: « Les procédés qui ont réussi sur le domaine indo-européen ne sont pas partout également utilisables. Il faut réfléchir sur les méthodes employées, en examiner la légitimité, et voir comment on en pourrait étendre l’usage et les assouplir sans en diminuer la rigueur, pour les conformer aux exigences des recherches sur les domaines nouveaux.» Si l’homogénéité du domaine bantou constituait un facteur favorable à l’éclosion du comparatisme négro-africain, par contre, l’hétérogénéité des langues non bantoues et la diversité dialectale imposèrent vite une barrière à l’ambition des synthèses.

Évidence de l’unité bantoue

«Les premiers voyageurs portugais avaient constaté que les indigènes de la côte occidentale (Angola) pouvaient communiquer avec ceux de la côte orientale (Mozambique), et les missionnaires portugais qui ont circulé à l’intérieur au cours du XVIIIe siècle avaient reconnu l’unité linguistique de cette région» (L. Homburger).

Dès 1808, un auteur allemand affirme que tout le domaine situé au sud du fleuve Zaïre, et au sud de l’équateur pour la zone orientale, est occupé par des peuples dont les langues constituent une même famille. Cette idée est expressément adoptée par Balbi dans son Atlas ethnographique du globe (1826), mais le classement général qu’il propose est avant tout géographique.

L’unité bantoue est progressivement confirmée et précisée. En 1850, J. W. Appleyard, un missionnaire anglais, publie, dans une introduction au xosa, la première grammaire comparée des langues africaines. Il est symptomatique d’y trouver des rapprochements avec la «mère des langues», l’hébreu, preuve que l’auteur était relativement étranger aux tendances de la linguistique contemporaine. Puis, ce sont, en 1860, les travaux de W. H. Bleek, auquel on doit le terme de bantou. L’élan qu’il donna à la bantouistique s’est continué dans l’œuvre de C. Meinhof qui publia en 1899 son étude de phonétique comparée des langues bantoues. Il se propose de retrouver, par l’étude des correspondances, les formes du bantou commun (Urbantu ). À la même époque, Homburger rédigea un mémoire (1908) sur le même sujet et publia en 1913 sa Phonétique historique du bantu , élaborée selon des principes de méthode reçus de Meillet. L’intérêt pour la bantouistique n’a jamais cessé; elle est pratiquée dans deux écoles importantes, celle, belge, d’A. E. Meeussen (Tervuren), continuée par A. Coupez, et celle, anglaise, de M. Guthrie (Londres).

Synthèses générales

Il reste, bien sûr, ces langues de l’Afrique occidentale, du Soudan et du Nil. Elles ont toujours plus ou moins déconcerté ceux qui voulaient les classer. On prend déjà conscience de leur extrême diversité à travers Polyglotta Africana , dont la date, rappelons-le, est 1854. Koelle y propose un classement géographique; ce n’est que plus tard, avec Homburger, Delafosse, Westermann, et enfin Greenberg, qu’apparaîtront des classifications à prétentions génétiques. Malgré d’évidentes incompatibilités, il s’affirme une recherche qui, sans véritablement converger, laisse toutefois entrevoir une certaine complémentarité.

On distingue deux grandes orientations. D’une part, il s’agit d’opérer une réduction interne des langues africaines à un certain nombre de groupes. Pour Delafosse et Homburger, cette réduction aboutit à des groupes qui seraient transcendés par une unité plus large, à savoir la famille négro-africaine . Pour Greenberg, elle aboutit à distinguer quelques familles, sans que celles-ci présentent entre elles une unité foncière. D’autre part, il s’agit de voir si les langues de l’Afrique noire ont une parenté avec des langues dont on a reconnu par ailleurs l’unité (dravidien) ou tout au moins l’appartenance à une autre famille (égyptien ancien). Homburger s’inscrit en premier lieu parmi les savants qui ont ainsi orienté leurs recherches dans la direction de l’égyptien ancien, puis du dravidien. Greenberg lui-même n’est pas étranger à cette orientation puisque, par la famille afro-asiatique , il propose un pont entre les langues d’Afrique noire (groupe tchadique) et les langues considérées comme chamito-sémitiques.

La diversité des langues

Face à l’irritant problème de cette diversité linguistique du domaine non bantou, Westermann avait déjà affirmé, en 1911, que les langues non bantoues forment une unité malgré leur diversité apparente. Il en retranche toutefois le peul et, sur la base d’un critère purement typologique, toutes les langues qui admettent un genre grammatical opposant masculin et féminin, comme le hausa, quelques langues du Tchad, le masay, et quelques autres langues de l’Afrique orientale. En fait, il appuie sa thèse sur un nombre extrêmement restreint de langues, cinq dans le Soudan oriental (twi, gan, ewe, yoruba, efik) et trois dans la partie orientale (dinka, nuba, kunama). Selon Greenberg, «la plupart de ces exemples ne sont pas convaincants».

En 1912, Homburger soutient la parenté du bantou, du wolof et du peul et propose de donner à la langue commune le nom de négro-africain . Delafosse parvient à des conclusions analogues. Il propose une classification en seize groupes des langues de la famille négro-africaine autres que le bantou. Si certains points restent fort critiquables, il n’en demeure pas moins que Westermann et Greenberg ont toutefois retenu de ces idées quelques grandes suggestions, en particulier pour les sous-groupes sénégalo-guinéen, mandé, voltaïque et, dans une certaine mesure, kwa.

Greenberg fait appel à sept cent trente langues ou dialectes. Ce chiffre ne doit pas faire illusion, car beaucoup de ces parlers ne sont connus que par des travaux empiriques et sans méthode. Nous touchons ici le point sensible de toutes les synthèses linguistiques en matière africaine: l’insuffisance des descriptions.

Les limites du comparatisme

Il est incontestable qu’il y a eu, de tout temps, un courant comparatiste en linguistique négro-africaine. C’est par lui que celle-ci débouche sur des synthèses. La classification de Greenberg peut être considérée comme une base de travail. Elle a néanmoins ses limites: elle est acculée à manipuler principalement des éléments de vocabulaire, par manque d’un nombre suffisant de descriptions grammaticales scientifiques. Pour la même raison, elle se trouve bloquée à un niveau de généralité abstraite, impuissante à donner une vue cohérente des affinités internes des familles et des groupes. Elle est, de plus, contrainte de garder le silence sur bien des langues dont on sait seulement qu’elles existent; ainsi Greenberg ne mentionne pas le dogon. Mais que réservent ces inconnues? Ces critiques tracent déjà les tâches d’une linguistique descriptive. Seul le développement systématique de celle-ci permettra de revenir à des synthèses moins hypothétiques. On découvrira peut-être alors qu’il y eut chez Greenberg et chez Homburger de remarquables intuitions.

Conscient de ces limites de fait et des raisons de la faillite des premières tentatives, G. Manessy reprit la problématique sur des bases nouvelles en appliquant la méthode comparative à un domaine apparemment réfractaire: le domaine voltaïque. L’originalité de sa démarche réside dans la manière dont il applique la méthode comparative: il s’appuie davantage sur les systèmes grammaticaux que sur les systèmes phonologiques et il l’applique d’abord à des sous-groupes linguistiques qui semblent présenter les conditions les plus favorables à une approche comparative. Pour chacun de ces groupes, il restitue la proto-langue. Il vérifie ensuite l’exactitude des restitutions obtenues par un nouvel examen de la totalité des matériaux utilisés pour aboutir finalement à la restitution d’une nouvelle proto-langue apte à en rendre compte. Se construit ainsi petit à petit l’«arbre généalogique» où des proto-langues intermédiaires propres à chaque sous-groupe sont coiffées par une protolangue de rang supérieur qui est à considérer comme la souche d’où proviennent les sous-groupes précédemment établis. Les résultats de l’ensemble des travaux sur le voltaïque permettent d’affirmer que non seulement Manessy renoue avec la tradition comparative, mais qu’il lui restitue toute sa crédibilité.

S’il y a des limites de fait au comparatisme, il y a aussi des limites de droit. Le terrain où s’exercent les langues négro-africaines présente deux caractéristiques, deux conditions impérieuses auxquelles doit se plier l’élaboration de toute synthèse, et il ne semble pas qu’on en ait toujours tiré les conséquences. Il a déjà été question d’une civilisation de l’oralité qui explique le nivellement des langues; leur seule saisie possible est celle de leurs états présents. Il faut y ajouter cette pluralité des langues dont le travail de Greenberg donne une idée puisque son index, qui ne rend pas compte de toutes, comporte sept cent trente titres. Il est certain que les langues ont été et restent sujettes à une différenciation dialectale intense, bien qu’il ne faille pas oublier l’existence, dans l’Afrique moderne, des communautés linguistiques démographiquement importantes.

Intérêt d’une étude typologique

Ce nivellement qui confère un privilège à la synchronie (état donné d’une langue) sur la diachronie (évolution d’une langue) et cette pluralité qui implique de multiples évolutions divergentes s’ajoutent aux limites du comparatisme négro-africain pour justifier, semble-t-il, un changement d’orientation dans l’élaboration des synthèses et une concentration sur l’exploitation des données typologiques. Mais cette typologie devrait être préparée par une description des langues en tant qu’elles sont des systématiques.

Il est incontestable que, depuis les années cinquante, le nombre de travaux d’ordre synchronique s’est accru considérablement, et beaucoup se situent à un niveau scientifique. Mais la pluralité des tendances modernes fait que l’impression générale s’accompagne d’une certaine déception. Bien des études, voire des descriptions, ne sont que des procédures d’analyse qui, si elles rendent compte des systèmes morphologiques, sont néanmoins imprégnées de ce formalisme et de ce nominalisme où s’épuisent bien des écoles structuralistes. On ne voit plus comment les langues fonctionnent et, d’ailleurs, rares sont les auteurs qui s’en soucient. Ce n’est pas ici le lieu de développer une méthode descriptive et une problématique grammaticale. La méthode la plus efficace et la plus «compréhensive» serait sans doute celle qui privilégie simultanément les notions de structure et de fonction.

2. Les structures linguistiques

Une orientation générale se dégage, semble-t-il, de l’historique des langues négro-africaines. On présentera seulement, ici, quelques faits de structures suivant un cadre de classement inspiré de Greenberg. Ce choix permet une mise en ordre pratique, mais n’implique pas une acceptation sans réserve. On insistera seulement sur quelques traits généraux dont l’ensemble peut être considéré comme caractéristique.

La famille congo-kordofanienne

Cette famille regroupe un grand nombre de langues au sud d’une ligne qui, d’ouest en est, part du fleuve Sénégal et s’infléchit progressivement vers le sud-est jusqu’au Kenya. La famille khoisan, au sud-ouest de l’Afrique, en est exclue.

Le groupe atlantique occidental

Il rassemble toutes les langues de l’extrême Ouest africain: au Sénégal, le wolof, les parlers sérer, le diola et toutes les langues des minorités de Guinée-Bissau, de Guinée et Sierra Leone. Tous les auteurs sont d’accord pour y joindre le peul. À vrai dire, ce groupe est plutôt géographique que génétique. Aucune étude d’ensemble n’a été entreprise; seuls le badiaranké, le bedik, le diola, le konyagi, le mancagne, le mandjaque, le peul, le wolof et divers dialectes sérer ont fait l’objet de travaux. D. Dalby détache du groupe le temnè et quelques langues parentes. On a cru longtemps que les langues ouest-atlantiques (ou sénégalo-guinéennes) n’avaient pas de tons. Cela est vrai incontestablement du wolof, du peul et du diola, mais ne l’est pas du temnè ni du bedik (Sénégal de l’Est).

On peut néanmoins souligner quelques faits communs aux langues connues du groupe. Elles n’ont pas de phonèmes vocaliques nasals. La plupart connaissent des consonnes prénasalisées et l’accent d’intensité sur la syllabe initiale des lexèmes. La forme canonique des lexèmes est régulièrement de structure CVC. Elles ne connaissent pas la composition comme procédé productif, mais la dérivation joue au niveau des lexèmes verbo-nominaux et au niveau des noms. Elles se rangent dans le type des langues à classes ou «langues à genres multiples». Le système des classes est très appauvri en wolof, il est par contre très différencié en peul (suffixes), ainsi qu’en diola et en temnè (préfixes). On y retrouve un fonctionnement qui rappelle les langues bantoues puisque les affixes de classes, dans ces trois dernières langues, manifestent des accords par référents (anglais concords ) dans le cadre de rapports syntagmatiques précis; les syntagmes nominaux sont des séquences où le déterminé précède le déterminant.

Les systèmes de conjugaison sont complexes. L’ordre des constituants est sujet-prédicat verbal-objet-circonstant. Ce dernier terme est marqué par une préposition ou par un dérivatif affixé au lexème verbal. Les constituants syntaxiques, nominaux ou verbaux, sont toujours complexes, à l’exception de l’impératif, comportant un lexème éventuellement élargi par un ou plusieurs dérivatifs, un nominant pour les noms, un prédicatif verbal pour les verbes.

Un trait qui a retenu depuis longtemps l’attention des linguistes est l’alternance des consonnes à l’initiale des constitutants verbaux et nominaux, particulièrement en peul, en koniagi, en biafada. L’alternance joue pour les noms et pour les verbes dans le cadre de l’opposition de nombre. Elle se présente, dans l’état actuel des langues, comme un fait d’ordre phonétique dont le conditionnement n’est plus décelable.

Les langues mandé

Elles constituent un groupe qui, à l’inverse du précédent, ne semble pas devoir être remis en question. On ne peut prétendre en donner une classification interne, malgré certains auteurs. Delafosse a proposé deux ensembles, le mandé tan et le mandé fu d’après le chiffre «dix». À vrai dire, le mandé tan , ou manding, est assez homogène; il comprend les parlers des Bambara, des Malinké et des Dyula, vaste ensemble où l’intercompréhension est possible, au moins au niveau d’un usage basique, et qui concerne le Mali, la haute Guinée, la haute Côte d’Ivoire, l’ouest du Burkina Faso, une partie de l’Est sénégalais, enfin le Liberia avec la langue vay.

En fait, cette trichotomie, si elle est valable, avec de nombreuses nuances, sur les plans historique et économique, voire psycho-sociologique, ne semble pas valoir pour la différenciation linguistique. Tout ce qu’on peut dire aujourd’hui avec certitude est que les parlers de l’Ouest ont un nominant -o alors que ceux de l’Est ont un ton haut suffixé comme nominant. Le soninké, contrairement à l’affirmation de Welmers, n’appartient pas au sous-groupe manding. Il est possible que la chute de l’empire du Ghana sous les coups du Mali ait entraîné une dispersion de peuples dont les Soninké (Guidimaka, Nioro) et les Bozo (moyen Niger) sont les représentants actuels, ainsi que les peuples forestiers (Toma, Kpele) et sierra-léonais (Mendé) et libérien (Gbandi) dont les langues toutefois accusent des particularités dues peut-être à un substrat. Le susu (Guinée) est assez particulier par son vocabulaire, mais plusieurs de ses structures rappellent le manding. Il est, en Côte-d’Ivoire, une poussière de minorités que le R.P. A. Prost a recensées. Il faut signaler enfin le bobo, le samo, le bisa du Burkina Faso et le boko (Nigeria) que la sagesse impose de ne pas classer. Pratiquement toutes ces langues mandé ont été rassemblées par Delafosse dans le mandé fu , ce qui revient à mettre une étiquette sur une inconnue.

On peut dégager quelques traits communs. Toutes les langues mandé sont tonales. Le système des voyelles est de cinq ou, plus souvent, sept timbres groupés en une corrélation orale-nasale, parfois longue-brève. Plusieurs langues n’ont que des fricatives sourdes. La syllabe est toujours ouverte et les formes canoniques des radicaux sont CVCV et CV. Certaines langues accusent une nette tendance au monosyllabisme. Composition et dérivation sont très productives. Le type général est à l’opposé de celui des langues à classes. Langues éminemment économiques, elles utilisent les lexèmes comme constituants syntaxiques. Il est fréquent de trouver deux types de syntagmes nominaux, un syntagme complétif à séquence complétant-complété, un syntagme qualificatif à séquence qualifié-qualifiant. Dans l’énoncé, le sujet précède le prédicat verbal, l’objet est intercalé entre un prédicatif copule et la base verbale, le circonstant est marqué d’une postposition. Il doit exister un assez grand nombre d’affinités lexicales entre les langues mandé, encore qu’une étude systématique n’en ait jamais été faite. Malgré les apparences, le manding, sur lequel existe une bibliographie assez fournie, nous est donné à travers des notations très empiriques, aussi bien dans les travaux d’avant-guerre que dans des contributions ethnologiques récentes. L’utilisation des textes est quasi impossible, étant donné le caractère très économique des structures de la langue. Les langues mandé qui ont donné lieu à des descriptions sont le susu (M. Houis), le maninka de Gambie (C. Rowlands, D. Creissels), le mendé (G. Innes), le toma (Sadler, Prost).

Les langues voltaïques

À l’est du domaine mandé, les langues voltaïques (syn.: groupe gur ) intéressent le Burkina Faso et les parties septentrionales de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo et du Bénin. Ce groupe est un damier de langues où se détachent deux langues de par l’importance du nombre de locuteurs: le moore (3 500 000 loc.) relativement homogène, le senufo (750 000 loc.) très différencié au plan dialectal. L’inventaire du groupe est aujourd’hui complet. Plusieurs auteurs ont proposé des classifications généalogiques. La plus importante est celle de G. Manessy. Les langues suivantes ont fait l’objet de travaux descriptifs: bwamu (G. Manessy), dagara (A. Delplanque, P. Somé), dagbane (W. A. A. Wilson), gourmantché (E. Beckett, B. Surugue, A. Rialland, B. Ouoba), kasem (E. Bonvini), minyanka (J. Cauvin), moore (T. H. Peterson, G. Canu, R. Kaboré), senari (M. Laughren), tagbana (A. Ouindé), tem (Z. Tchagbale).

Au plan phonologique, le système vocalique est très diversifié. Le mot phonologique est caractérisé très souvent par l’harmonie vocalique et par le schème tonal. Au plan grammatical, les noms sont groupés en classes marquées par des nominants suffixés. Dans certaines langues, le système des classes est encore vivant dans le système des pronoms. En règle générale, le système verbal comporte l’opposition aspectuelle perfectif/imperfectif. Certaines langues, comme les langues gurunsi occidentales, ont en outre une forme verbale «aoristique», non marquée. D’autre part, la base verbale peut comporter des suffixes dérivatifs de valeur inchoative, inversive, factitive, intensive ou plurielle.

Le groupe kwa

Selon Greenberg, le groupe kwa s’étend sur une large bande côtière, depuis les langues kru du Liberia jusqu’au delta du Niger, remontant au-delà du confluent de la Bénoué. Cependant, dès la fin des années soixante, d’importantes modifications de la classification proposée par Greenberg ont été suggérées, qui remettent en cause le statut des langues kru à l’intérieur de la famille kwa. Le terme kwa signifie «être humain» dans un certain nombre de langues et s’est trouvé progressivement accrédité par divers auteurs, depuis 1885.

Les langues kru qui ont fait l’objet de travaux descriptifs sont: godié, koyo, newole, vata et wobe. Les langues kwa qui ont fait l’objet de travaux sont: adioukrou, agni, alladian, baoulé, bini, ewe, fon, gen, gun, igbo, ijo, yoruba.

Il est quelques traits qu’on peut considérer comme largement attestés: corrélation vocalique orale/nasale, structure syllabique ouverte, détermination nominale selon l’ordre complétant-complété, large emploi de la composition nominale et verbale, la position postverbale de l’expansion objectale. L’expansion circonstant est rarement marquée par une postposition. Un trait fréquemment attesté est une tournure très analytique de l’expression des procès au moyen d’une succession de deux verbes ou plus (série verbale). Il est fréquent que le nom présente une voyelle initiale dont le statut est celui de dérivatif thématique.

Les langues Bénoué-Congo

Ce groupe de langues est l’une des grandes originalités de Greenberg puisqu’il rassemble non seulement des langues qui se situent entre le Sanaga et la Bénoué (kambari, birom, jukum) et à l’est du delta du Niger (éfik, ibibio, tiv), mais aussi le vaste ensemble géographique bantou . Toutefois, cette classification de Greenberg est mise en cause par divers linguistes, notamment par K. Williamson et J. Voorhoeve qui distinguent d’une part les langues bantoues et d’autre part les langues bantoïdes non bantoues et les langues bantoues des Grassfields au Cameroun.

Si initialement les études bantouistes étaient pour la plupart à visée comparatiste, actuellement les études à visée descriptive sont de plus en plus nombreuses et couvrent la majeure partie des langues bantoues même si elles sont de valeur inégale. En plus des pays africains, les études de bantouistique sont réparties sur plusieurs autres pays: Allemagne, Belgique, France, Grande-Bretagne, Pays-Bas, ex-U.R.S.S., États-Unis, et depuis peu de temps Brésil.

Quoi qu’il en soit, les langues bantoues méritent une attention spéciale dans l’Afrique moderne, ne serait-ce que parce qu’une des plus grandes langues africaines, du point de vue de la démographie, est incontestablement le swahili dont le statut est celui d’une langue officielle en Tanzanie et au Kenya et qui assume une importante fonction véhiculaire en Afrique orientale jusqu’au Zaïre.

Généralement, ces langues ne connaissent pas de voyelles nasales comme phonèmes. Elles sont tonales, à l’exception de quelques langues dont le swahili, le tumbuka (Malawi), le copi (Mozambique). Elles possèdent un système de classes. Celui des langues bantoues est très différencié et typique. Les noms sont intégrés dans un système différencié de préfixes, organisé d’une part selon des corrélations binaires répondant à une corrélation de nombre au sens large, d’autre part selon des corrélations plus limitées qui n’existent qu’autant que l’usage le permet, et qui correspondent à des valeurs de dérivation. Il est donc fondamental d’observer que les classes sont appariées en genres; c’est pourquoi le terme de «langues à genres multiples» est peut-être plus exact que celui de «langues à classes».

Au plan syntaxique, la phrase est en quelque sorte ponctuée par une allitération des nominants de classes selon des rapports déterminés. Ainsi en swahili: vi-su vi-me-anguka («les couteaux, ils sont tombés»), où le préfixe nominal vi de vi-su est repris par un référent devant le verbe. Il en serait de même entre un nom complété et un nom complétant, entre un nom qualifié et son qualifiant, etc. L’exemple cité est très représentatif, car il y a identité phonique entre le préfixe et son référent. En fait, l’identité n’est pas toujours parfaite, en raison d’adaptations phoniques diverses du préfixe ou du référent au monème qui le suit, à cause aussi du fait que certains référents, selon leurs paradigmes, peuvent être spécifiques, et non pas une forme homophone du préfixe dirigeant l’accord. Ce dernier cas est illustré en swahili par le genre ji/ma qui a pour référent ji/ma devant les adjectifs, mais li/ya devant les verbes conjugués.

Les langues bantoues n’usent généralement pas de la composition comme formation productive des mots, quoique ce type tende à se développer dans les langues qui connaissent un usage véhiculaire. La dérivation est, par contre, très productive. Un autre trait répandu est le fait que les nominants et les prédicatifs verbaux se combinent le plus souvent à des thèmes, et non à des lexèmes, c’est-à-dire à des bases qui sont réductibles à deux monèmes (un lexème CVC et une voyelle) isolables par comparaison entre plusieurs mots, mais qui ne le sont pas dans le discours.

L’importance numérique des communautés bantoues a donné à ces langues un rôle de premier plan (conspicuous languages , dit Greenberg). Il est évident qu’une importance située à ce niveau peut être sans intérêt dans une perspective comparatiste.

Le groupe Adamawa-Oubangui

Il s’agit de langues situées au nord du domaine précédent, qui intéressent les États du Cameroun, de la République centrafricaine, du Tchad, du Soudan.

Parmi les langues les plus connues, citons le namshi, le duru, le mumuyé, le mundang, le mbum, le yungur, le fali, le ngbaka, le zandé, le sango, le nzakara, le gbanziri. Le ngbaka a donné lieu à une description rigoureuse de J. Thomas. L’insertion de ce groupe dans le Niger-Congo est justifiée par la présence d’affixes de classes communs avec ceux des autres langues de la famille. Les langues situées dans la zone orientale de ce groupe offrent toutefois des cas nombreux de pertes d’affixes qui subsistent sous forme de voyelles préfixées. Il est possible que le kulaal, langue parlée près du lac Iro (Tchad), relève de ce groupe: les noms s’intègrent dans plusieurs ensembles complémentaires, marqués chacun par une opposition de nombre; il est rarement possible d’isoler les modalités tant il y a d’amalgames dont beaucoup sont du type des pluriels internes. En outre, les noms sont marqués par des nominants facultatifs dont les appariements rappellent de très près un système de classes.

Greenberg émet l’hypothèse que les langues kordofaniennes, que l’on trouve dans la région du Soudan, autour d’El-Obeid, pourraient être rattachées au Niger-Congo. À vrai dire, c’est une hypothèse à vérifier, car la documentation est fort restreinte. Il s’agit de langues à classes.

La famille nilo-saharienne

Cette famille dessine une zone déchiquetée intéressant le Tchad, la République centrafricaine, le Soudan, le Kenya, l’Ouganda et le Zaïre, ainsi que le Mali et le Niger avec la langue songay.

J. Greenberg a regroupé sous ce nom six familles de langues: songhay, saharien (kanuri, teda, dazza, zaghawa), maba, fur, Chari-Nilnubien», tama, daju, shilluk, dinka, nuer, dholuo, masay, sar, mbay, ngambay, moru, mangbetu...), koma. L’apparentement génétique de toutes ces familles est loin de faire l’unanimité, certains voulant faire éclater le phylum, d’autres, au contraire (E. A. Gregerson) voulant réunir l’ensemble du nilo-saharien au Niger-kordofanien (ou Congo-kordofanien) au sein du «Congo-saharien».

Les travaux les plus nombreux portent sur le nilotique, qui est une sous-famille du Chari-Nil. On note un renouveau important des études kanuri, dû surtout à N. Cyffer et J. P. Hutchison.

Le développement récent des études songhay remet en cause sérieusement la place du groupe au sein du nilo-saharien.

La famille afro-asiatique

Apportant une solution originale au problème des langues bantoues, la classification de Greenberg innove aussi quant à l’existence d’une famille afro-asiatique. Pour situer cette hypothèse, on peut l’opposer à celle de Meinhof qui étend considérablement l’aire de la famille chamitique, et à celle de Homburger qui pose au contraire l’unité de la famille négro-africaine et sa spécificité par rapport à l’ensemble chamitique. Les langues pour lesquelles on a proposé une parenté chamitique sont le peul, les langues nilo-chamitiques (masay, nandi, turkuna, suk, bari...), le hottentot, le hausa et les langues qui lui sont apparentées. En ce qui concerne les langues nilo-chamitiques (classées par Greenberg dans la famille nilo-saharienne), on n’y trouve pas les pronoms et les éléments verbaux qui sont propres aux langues chamito-sémitiques. On y retrouve certes le genre sexuel, mais sans analogie formelle. Par contre, les langues nilo-chamitiques et nilotiques présentent des analogies de vocabulaire.

La famille afro-asiatique se subdivise en sémitique, égyptien ancien, berbère, couchitique, tchadique. Le hausa a toujours fait problème pour les africanistes. Dès 1863, Lepsius a classé cette grande langue avec le berbère; Lukas propose de l’inclure dans un groupe tchado-chamitique. Cohen, sans conclure catégoriquement, a inclus le hausa dans son Essai comparatif sur le vocabulaire et la phonétique du chamito-sémitique (1947). F. W. Parsons en a dégagé les caractères généraux.

Les quatre consonnes de base P, T, K et S apparaissent comme sourdes, sonores et glottalisées, et la plupart de ces variétés peuvent être en outre palatalisées ou labio-vélarisées dans les dialectes plus anciens de Katsina et Sokoto. La syllabe est toujours de formes CV, CVV ou CVC et les voyelles supportent un ton haut ou bas. Les noms et les verbes consistent en lexème simple ou élargi et associé à un nominant ou à un prédicatif verbal, le plus souvent vocalique ou tonal. Le verbe, toujours d’après Parsons, est organisé en un système homogène de sept «degrés». Le système nominal est par contre hétérogène et d’une très grande variété morphologique. Il y a au moins huit classes de pluriels nominaux. La distinction masculin-féminin recoupe le système de classes singulier-pluriel. L’accord en genre se fait entre adjectif et nom, mais aussi entre sujet et prédicatif verbal; la distinction générique se fait dans les pronoms singuliers des deuxième et troisième personnes, dans les démonstratifs, dans le connectif du syntagme complétif accordé avec le complété, dans le prédicatif répondant à «c’est». Si les formes verbales sont relativement peu nombreuses, leur usage est néanmoins délicat.

C’est le rattachement du tchadique à la famille afro-asiatique qui fait problème. Tous les auteurs s’accordent actuellement pour diviser le tchadique en au moins trois sous-familles ou branches: Ouest (hausa, kanakuru, angas, ron, ngizim...), Centre ou Biu-Mandara (tera, margi, higi, wandala ou mandara, laamang, mafa, mofu, giziga, kotoko, munjuk ou musgu...) et Est (kera, tumak, nancere, dangla ou dangaléat, mubi, migaama, mokilko...). P. Newman, se fondant sur des critères assez minces, d’ordre phonologique, fait du groupe Masa (masa, marba, musey, lamé...) une branche (sous-famille) à lui seul. Pour H. Jungraithmayr, le groupe Masga est à inclure dans la sous-famille centrale. Mais le tchadique est-il apparenté au chamito-sémitique? Pour Newman (1980), cela ne fait aucun doute, et il en apporte des preuves tant dans le domaine grammatical que dans le domaine lexical. Il propose pour la première fois vingt-huit formes lexicales qu’il a reconstruites pour le proto-afroasiatique. La majorité des africanistes se rallient à la classification de Greenberg, défendue par Newman, mais les «chamito-sémitisants» sont généralement plus circonspects, estimant que l’on n’a pas encore apporté la preuve irréfutable que les ressemblances entre chamito-sémitique et tchadique sont bien dues à une origine génétique commune et non à des emprunts résultant des contacts prolongés entre chamito-sémitique et tchadique. Ils souhaiteraient également qu’on leur prouve que le tchadique est plus proche du chamito-sémitique que les autres groupes de langues négro-africaines.

On compte environ cent cinquante langues tchadiques, et l’on manque de documentation tant soit peu approfondie pour près des deux tiers d’entre elles. L’intérêt presque exclusif pour le hausa (parlé par plus de trente millions de locuteurs) a longtemps déséquilibré les études tchadiques, mais un effort récent portant sur le reste de la famille a déjà permis d’obtenir des résultats significatifs dans le domaine du comparatisme.

Les langues khoisan

Le mot khoisan , créé par Schapera, est composé des termes khoi , que les Hottentots s’appliquent à eux-mêmes, et san qu’ils appliquent aux Boschimans. Au moment de la pénétration européenne, ainsi que le relate Delafosse, les Hottentots occupaient encore toute l’Afrique méridionale, du fleuve Orange au Vaal; les Nama fréquentaient même les pâturages du nord de l’Orange, à l’ouest du Kalahari. Les Boschimans, qui ont été refoulés par les précédents, sont dispersés dans le Kalahari et dans la Namibie et s’étendent jusqu’au sud de l’Angola. À cette famille sont rattachés, selon un accord à peu près général, les Sandawé et les Hatsa, au sud-est du lac Victoria, dans la Tanzanie. L’attention a été attirée sur les langues khoisan par la présence de clicks : sons produits dans la cavité buccale par un mouvement de succion ou d’expulsion délimité par deux points d’occlusion.

3. Linguistique externe

Dans quelles conditions sociologiques et historiques s’exercent les langues de l’Afrique noire? Cette question attire l’attention sur les communautés linguistiques et doit introduire à une compréhension plus profonde des langues.

Civilisation de l’oralité

Dire que la civilisation négro-africaine est sans écriture, c’est la qualifier par défaut et par référence analogique à une technique de communication qui lui est originellement étrangère. Certes, il n’est pas facile de définir l’oralité, d’autant plus que cet aspect a peu retenu l’attention des anthropologues. On commence toutefois à s’en représenter l’importance grâce à la publication de textes en langues africaines et à travers les études qui en précisent les conditions d’exercice ou les différents traits symboliques. Ainsi, selon Babalola (1966), des légendes rendent compte, au niveau mythique, de l’insertion dans un culte précis, celui du dieu Ogun, de l’ijala , qui est un genre poétique yoruba. Les poèmes sont récités à l’occasion de fêtes solennelles en l’honneur d’Ogun ou d’ancêtres dont le lignage lui est attaché. Plus l’occasion est solennelle, plus les poètes sont limités dans leur inspiration: ils «redécouvrent» au public les événements et les symboles qui leur sont associés, afin de faire passer, tout en amusant, les principes d’une morale sociale. Les poèmes sont des messages allusifs ou chargés de numineux.

Quels sont les traits d’une civilisation de l’oralité? Tout d’abord les rapports de locuteurs à auditeurs sont authentiques, en ce sens que tout message recourt nécessairement à des circuits acoustiques: la voix, le tambour, la flûte, le sifflet. Il n’y a pas d’anonymat, comme dans une civilisation de l’écriture. En second lieu, la mémoire est connaissance. L’écrit dure contre le temps. Or il doit aussi y avoir permanence dans l’oralité. Comment l’assurer?

La mémoire, semble-t-il, est privilégiée par trois moyens. La nature, tout d’abord, est perçue comme un monde de signifiants. Tel arbre, tel animal, tel chant d’oiseau, tel phénomène atmosphérique deviennent les signes de messages numineux et imposent à l’homme un comportement déterminé: il est dans une situation de dialogue latent.

La mémoire est également privilégiée par l’institutionnalisation du savoir. Le patrimoine historique et culturel des communautés repose sur des individus spécialisés dans son maintien et dans sa transmission. Ainsi les griots du pays manding. Enfin, l’exercice de la parole est rythmé, et ce rythme est en fin de compte un moyen mnémotechnique (M. Jousse). Il s’inscrit dans un complexe mental; ordre, répétition et harmonie sont des structures internes de la pensée nègre.

Un troisième trait de l’oralité est le caractère nécessaire et coercitif de la parole. L’école de Marcel Griaule a beaucoup fait dans l’importance de la découverte de la parole. Il est ainsi nécessaire d’énoncer des devises quand on arrive à un village. Les louanges sont coercitives en ce sens que le bénéficiaire doit y répondre par un don, ou par d’autres paroles, ou s’en protéger par une amulette qui est dépositaire de sa réponse.

Langues et enseignement

Il existe aujourd’hui une presse, des livres, des traductions en diverses langues africaines. Ce passage de l’oralité à l’écriture fut et reste le fait soit de décisions officielles au niveau de l’enseignement, soit d’options en rapport avec l’apostolat religieux. Un nombre croissant de pays francophones développent l’alphabétisation en utilisant quelques grandes langues africaines. Il est trop tôt pour juger des résultats, mais il importe de souligner l’initiative des responsables qui ont le courage d’aller à contre-courant et de prendre une option conforme à l’esprit des indépendances africaines.

Le bilan est très positif. Ces dernières années ont vu croître l’intérêt, pratique et fondamental, pour les langues négro-africaines. Cela s’explique à la fois par l’ouverture, grâce à l’indépendance, des Africains sur un monde moderne qu’ils assument tout en restant eux-mêmes, ainsi que par l’importance que prend le langage dans l’anthropologie contemporaine. Les recherches actuelles marquent de plus en plus une insistance sur la linguistique descriptive; il importe en effet, et d’urgence, de savoir comment les langues fonctionnent . C’est à cette seule condition qu’on pourra de nouveau déboucher sur des synthèses plus solides ou moins abstraites que celles qui sont connues à ce jour. Il faut des bases précises à la linguistique appliquée, aux politiques culturelles, aux propositions typologiques et génétiques. Les perspectives interdisciplinaires sont les seules qui permettent une étude compréhensive du problème.

L’identité de la civilisation africaine ressort bien de sa définition comme civilisation orale. Le passage de l’oralité à la scripturalité est un impératif de fait qui s’impose à l’attention des esprits. Il implique, politiquement, que la tension conflictuelle présente dans tout bilinguisme soit progressivement réduite, que tout privilège reconnu aux langues africaines ne soit plus conçu comme s’affirmant nécessairement contre les langues européennes. La condition en est de mieux comprendre les langues négro-africaines, d’en fonder valablement la pédagogie et de les orienter vers une civilisation qui serait marquée par l’oralité écrite, plutôt que par la seule écriture.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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